UFC Que choisir : Valve condamné pour ses pratiques commerciales - quelles conséquences en attendre?

Suite à une action d'UFC Que Choisir, Valve est condamné devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour ses pratiques commerciales, ce qui autoriserait les joueurs à revendre d'occasion leurs jeux achetés sur la plateforme. Reste à apprécier le champ d'application réel de la décision. 

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De longue date, l’association UFC Que Choisir s’est fait une spécialité de défendre le droit des consommateurs et depuis quelques années, l’association s’intéresse aux pratiques commerciales en vigueur dans l’industrie du jeu vidéo – encore récemment, UFC s’interrogeait sur la licéité des loot boxes, par exemple.
En 2015, UFC Que Choisir engageait ainsi des poursuites contre le studio Valve, contestant plusieurs clauses des conditions d’utilisation de la plateforme Steam. Le tribunal de Grande Instance de Paris rendait sa décision ce 17 septembre et la juridiction parisienne condamne la plateforme américaine. Quatorze clauses des conditions d’utilisation de Steam sont jugées abusives et donc réputées non écrites (elles ne s’imposent pas à l’utilisateur). Si la plupart ont déjà été supprimées des conditions d’utilisation de la plateforme depuis 2015, on retiendra par exemple que la plateforme ne peut pas unilatéralement s’exonérer de ses responsabilités ; doit préciser aux utilisateurs toutes les juridictions compétences en cas de litige (un joueur français peut saisir les juridictions françaises), ni conserver les fonds des portes monnaies des joueurs qui ne fréquentent plus la plateforme.

Revente de jeux dématérialisés

Mais la décision des juges parisiens la plus significative porte sans doute sur la possibilité de revendre (d’occasion) les jeux achetés sur la plateforme. Dans ses conditions d’utilisation, Steam exclut catégoriquement toutes reventes. Par leur jugement, les juges cassent la clause : ils considèrent que le régime juridique applicable à un bien physique (comme un CD de jeu qui peut être revendu d’occasion par son acheteur initial) doit aussi s’appliquer aux copies de jeux dématérialisées qui auraient été téléchargées sur la plateforme.

En substance, les jugent s’appuient sur une récente directive européenne qui pose que le droit de diffusion ne s’épuise pas avec l’acquisition d’un objet dématérialisé, ce qui autorise de facto l’acquéreur à revendre son acquisition.
Et évidemment, la décision prend des allures de bouleversement juridique à plus d’un titre : d’abord parce qu’un objet physique et un objet dématérialisé s’appréhendent évidemment différemment (ne serait-ce que parce qu’un objet dématérialisé peut être copie à l’infini) et ensuite parce la dématérialisation est aujourd'hui au coeur de nos usages et que la décision du TGI de Paris pourrait être amenée à s’appliquer à toute l’industrie du jeu et pas seulement Steam (c’est l’ambition d’UFC Que Choisir), mais aussi de la musique, du cinéma, de la presse en ligne, etc. On le comprend, les enjeux sont colossaux.

Quelles conséquences concrètes ?

La décision est rendue, mais pour quelles conséquences concrètes ? Dans l’immédiat, les effets du jugement sont plus que limités dans la mesure où Valve a d’ores et déjà annoncé interjeter appel de la décision. L’appel est suspensif, la décision de première instance ne s’applique donc pas tant que le fond du litige n’aura pas été examiné en appel – et ne le sera sans doute pas avant quelques années. Le groupe Valve a donc encore quelques beaux jours devant lui, le temps de faire évoluer ses conditions d’utilisation, ses pratiques commerciales envers les joueurs et envers les studios de développement qui distribuent leurs jeux sur Steam.

Et au-delà même de l’appel, la décision du TGI de Paris aurait-elle eu des conséquences concrètes sur l’industrie du jeu (au-delà de la théorie juridique) ? Pas si sûr.
La décision des juges se fonde peu ou prou sur le postulat qu’un même régime juridique doit s’appliquer à la vente d’une copie numérique et d’une copie physique de jeu. Dont acte. Sauf qu’aujourd’hui, de plus en plus souvent, une copie physique de jeu n’est plus le même « objet juridique » qu’une copie numérique de jeu. Et par conséquent, leur régime juridique diffère.

Concrètement, un jeu vidéo peut faire l’objet d’un contrat de vente : un studio vend une copie de son jeu à un joueur. Que le jeu soit sur un support physique ou dématérialisé importe peu et c’est ce que les juges du TGI de Paris réaffirment. Mais aujourd’hui, de plus en plus souvent, un jeu est certes un produit (qui fait donc l’objet d’un contrat de vente), mais aussi une série de « services » (le fameux « game as service ») qui recouvrent de nombreuses facettes différentes : l’accès à un serveur de jeu, des mises à jour gratuites ou payantes, des services communautaires optionnels ou nécessaires... Autant de composantes qui créent de nouvelles interactions juridiques (des obligations contractuelles réciproques) entre les parties du contrat : le joueur peut accéder au serveur de jeu, mais s’il paie son abonnement ; il profite des mises à jour mais accepte que le jeu puisse changer (parfois drastiquement) par rapport à la version qu’il a acquise initialement ; il peut utiliser les outils communautaires mais dans le respect des conditions d’utilisation, sous peine de sanctions... Sans compter qu'un serveur de jeu peut fermer ses portes définitivement – si ce n'est jamais agréable pour un joueur actif, on imagine mal comment un studio en faillite, par exemple, pourrait avoir obligation de maintenir ses serveurs de jeu ouverts. 
Or ces moult relations contractuelles sont par définition personnelles (dite Intuitu personae en droit) : le studio et le joueur contractent spécifiquement l’un avec l’autre (et pas avec quelqu’un d’autre) et s’interdisent d’y substituer unilatéralement d’autres contractants. En d’autres termes, le joueur a personnellement accepté les règles en vigueur dans le jeu et de s’y conformer, et en échange, le studio lui accorde personnellement un droit d'accès au jeu en question. En conséquence, le joueur ne peut donc pas céder son compte à un tiers (un autre joueur) qui lui n’aurait pas accepté ces mêmes conditions d’utilisation, n’affiche peut-être pas la même solvabilité, n’est peut-être pas soumis aux mêmes régimes juridiques dans son pays, etc. Et dès lors qu’un contrat ne peut pas être cédé unilatéralement à un tiers, on comprend l'obstacle juridique qui se dresse face à la revente d’occasion.

Et dans le litige qui oppose UFC Que Choisir et Valve, le juge du TGI de Paris reconnait ces obligations contractuelles parallèles – notamment parce que les avocats de Valve ont tenté de faire valoir le fait que Steam propose une « prestation de service en ligne » : les juges considèrent que Steam est une plateforme de vente (et non de prestations), mais indiquent dans la foulée que ces prestations « échappe[nt] effectivement [...] à l’application des directives précitées » qui fondent leur décision.
En d’autres termes, Steam est bien une plateforme de ventes, et doit assurer la possibilité de revendre les jeux (les « produits ») qu’elle propose à la vente. Mais la disposition ne peut s’appliquer qu’aux seuls « produits » vidéo ludiques et non aux jeux « service » (car en plus de la vente, s’y ajoutent des prestations de service auxquelles les directives européennes ne s’appliquent pas). Au plus, peut-on considérer que l’utilisateur d’un jeu en ligne a la possibilité de vendre son client de jeu (le programme qui peut faire l’objet d’une vente), mais pas le compte de jeu qui y est associé et permet concrètement de jouer (qui relève du contrat intuitu personae).

On le comprend, la portée théorique de la décision du TGI de Paris est colossale. Mais en pratique et au regard des évolutions récentes de l’industrie du jeu, elle ne s’appliquerait sans doute qu’à une petite minorité de jeux (les « produits » qui n’intègrent aucun « service » additionnel), et sans doute pas à l’essentiel des titres qui génèrent le plus gros du chiffre d’affaires de l’industrie aujourd’hui.
Pour autant, on sera néanmoins curieux de suivre les évolutions de ce dossier : que ce soit les prochaines actions en justice d’UFC Que Choisir contre d’autres plateformes de ventes en ligne (de jeux, mais pourquoi pas aussi de musique ou contenus audiovisuels) et surtout l’appel de la condamnation de Valve.

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