Test de Iconoclasts : le jeu de l’ère éthique

Une mécanicienne résolvant des énigmes à l'aide d'une clef à molette dans un énième Métroïdvania au look 16 bits ? Voilà un pitch qui nous donnerait presque envie d'aller bricoler l’évier plutôt que de nous lancer dans Iconoclasts. A tort, car nous sommes face à un jeu qui, fidèle à son titre réussit le pari ambitieux de briser les icônes.


Ici on déboulonne les poncifs !

On n’attendait pas Iconoclasts sur la narration, et pourtant c'est une des plus belles réussites du titre. En cinq minutes et à partir de trois fois rien, Iconoclasts nous plonge dans une intrigue menée tambour battant qui nous tient en haleine pendant une quinzaine d’heures avec des thèmes forts : religion, énergies fossiles, complot originel, révoltes, destin, fascisme, élitisme, impunité, transhumanisme. Le titre mise sur une poignée de personnages, alliés comme ennemis, que l'on va suivre tout au long du jeu et qui vont incarner toute une série de thèmes forts. Si la religion dépeinte via la théocratie à laquelle s'oppose l'héroïne Robin est la pierre angulaire de toute l'histoire, le jeu n'hésite pas à piocher dans de grands thèmes de la science-fiction ou du quotidien pour nous interpeller avec brio.

 

Malgré le mutisme de notre héroïne, l'ensemble du casting, épaulé par des compositions musicales marquantes, donne voix à des positions et un questionnement spirituel et éthique profond. Alliés comme ennemis, partenaires comme opposants, jouent, à grand renfort de textes, d'effets et d'une large palette d'animations craquantes comme flippantes, des clichés qu'ils dépassent systématiquement : chacun a des motivations et un arc narratif propre, qui vient s'insérer parfaitement dans la trame du scénario principal. Iconoclasts fait vibrer nos émotions : on n'est jamais blasés, mais plutôt amusés, désolés, choqués, révoltés : du grand art. La narration et les situations sont à la fois tragiques et comiques, car l'humour est omniprésent et même l'armée de soldats sans visages est capable de nous faire rire.

Mise en scène brillamment étoffée et scénario complexe, se traduisent par une profusion de textes, qui peuvent être un frein à l'immersion : le vocabulaire est parfois très riche, et le scénario se veut mystérieux, il n'est donc pas toujours facile d'appréhender le jeu en Anglais. Si la traduction française nous permet de dépasser nos limites linguistiques, elle peine par moments à interpréter certains passages. Ce n'est en rien un frein au plaisir ; dans les deux versions, le jeu distille savamment les ingrédients qui font une grande histoire tout au long de sa durée. On n’en attendait pas autant d'un wanna-be 16 bits.

La mécanique des fluides

Si la narration nous évoque la grande époque du J-RPG japonais, la réalisation est résolument moderne : véritable fer-de-lance du jeu hi-bits Iconoclasts commence par imiter visuellement et techniquement ses aînés pour les transcender par la suite. Malgré son titre, Iconoclasts évite brillamment (mais c'est son propos) le piège du Deus Ex Machina : le personnage ne deviendra jamais surpuissant, il y a peu d'évolutions, et les power ups cachés, interchangeables, sont limités en nombre, ce qui permet de conserver un challenge à la hauteur sur la durée, tout en permettant un backtracking simplifié, mais pas ridicule. N'y voyez pas un manque de diversité, chaque outil est richement pensé, et chaque situation vous fera réfléchir pour avancer.

Parfois retorses, mais loin d'être insurmontables, les énigmes qui rythment et ponctuent la progression ont, en plus de leur challenge, le mérite de nous donner le temps d'apprécier la richesse et la finesse des environnements. Ces derniers, évoluant au rythme du jeu sont remplis de détails qui nous en apprennent plus sur le monde, mais nous font aussi regretter l’absence d’un petit filtre scanlines. Ainsi, c'est tout un univers cohérent et labyrinthique qui s'ouvre petit à petit à nous. Chaque zone est différente dans son contexte, son ambiance sonore et ses mécaniques : c'est un plaisir de les traverser, y compris les zones aquatiques, c'est dire si la maniabilité est aux petits oignons.

  

Car si la progression requiert d'observer et de comprendre, il faudra ensuite faire appel à notre dextérité pour mettre en œuvre les solutions qu'on envisage, et c'est là que les choses se corsent, car l’action prend le dessus. L'occasion de prendre conscience de la fluidité et de la précision des contrôles et de pester sur notre incapacité à éviter certains pièges. Il faudra apprendre, mais la mort n'est jamais très punitive, et si elle nous invite à refaire quelques passages, ou écrans, c'est toujours un plaisir de finalement débloquer une énigme voire de triompher d'un saut ou d'un tir ardu.

Ce principe de compréhension/exécution s'applique d'ailleurs également aux boss. Ces derniers, extrêmement nombreux, sont d'une richesse et d'une diversité qui nous ravit. Bien entendu, ils sont beaux, mais surtout aucun ne se ressemble ou ne se répète : tous font preuve d’une grande originalité, que ce soit dans leur contexte, dans leurs mécaniques, dans la présence ou non d'alliés qui créeront des situations où ils nous passent le contrôle pour exécuter certaines actions. Et cerise sur le gâteau, les boss ne sont pas que des checks de fin de niveau, beaucoup sont très richement mis en scène et font avancer de grands pans de l'histoire avec bonheur.

Face à tant de qualités, difficile de réaliser qu'il s'agit de l'œuvre d'un seul homme. Et pourtant, Joakim "Konjak" Sandberg a réalisé Iconoclasts seul en sept ans. De là à voir un ironique parallèle sur la création d’un monde en sept jours, il n’y a qu’un pas. Dans tous les cas, pour tout amateur d’aventure, d’action, d’énigmes, de narration, de 2D, de plate-forme, bref, de tous les genres présents dans le jeu, ce serait un péché que de ne pas y jouer.

Testé en février sur les versions PS4/Vita. Je profite de la sortie sur Switch début août (qui ajoute au passage un mode de difficulté plus doux) pour proposer mon test qui était resté dans les cartons, et au passage refaire parler de cet excellent jeu. ;-)

 

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